12 septembre 2007

Interview pour le PRIX POLAR SNCF - 8e édition

(le 22 avril 2007)


Madame Piersanti, vous avez un parcours d’écrivain presque classique (critique, traduction puis écriture). Vous aviez envie de raconter des histoires depuis toujours ?

Il me semble avoir toujours eu envie de me raconter des histoires. A quatre ou cinq ans, avant l’accès à la langue écrite, je m’installais sous la table, dans la salle à manger, avec ma petite chaise : pendant que les « grands » s’adonnaient aux plaisirs de la table et de la conversation, je regardais leurs pieds et leurs jambes tout en m’inventant des histoires à me faire peur. Plus tard, adolescente, pendant les longues après-midi d’été, il me tardait de me réfugier dans la demi obscurité de la chambre pour peupler de mes histoires l’attente de la passeggiata, la fameuse promenade du soir, quand les jeunes filles en fleurs n’en finissaient plus de mesurer la place du village de leurs allers-retours aguicheurs à l’attention des garçons.

Vous avez choisi votre pays d’origine et Rome en particulier comme décors pour votre série des Saisons meurtrières, comment arrivez-vous à vous renouvelez ? Est-ce l’angle (la saison), comme fil conducteur, le plus important ?

Rome est un monde, comme toute ville d’ailleurs, mais plus que toute autre ville pour moi. J’y puise comme dans mon inconscient, intarissable par définition. Ce que vous appelez très joliment « l’angle », c’est-à-dire la saison de mon récit, n’est pour moi que « la patte » du temps : une saison est un morceau de temps figé et une variable qui revient à l’infini, ce qui offre à l’écrivain la possibilité d’un arrêt et d’un nouveau départ.

Je suis depuis toujours obsédée par le temps : le temps de l’attente et le temps de ce qui a déjà eu lieu, celui qui manque avant qu’un événement se produise et celui qui fuit fatalement. Mon fil conducteur, le seul, est donc aussi mon obsession première : le temps. Alors Rome change suivant la couleur du temps, mais les passions, elles, restent ou reviennent.

Ecrire au féminin est-il important pour vous ? Est-ce quelque chose de plus naturel pour vous ? Dans quelles proportions allez-vous puiser dans votre personnalité pour créer et alimenter vos personnages ?

Je ne sais pas si j’écris « au féminin » : j’écris, c’est tout. Quand on écrit, l’écriture est le résultat d’un agencement d’autres écritures qui ont pénétré dans notre existence à la manière de la nourriture qui a « fait » notre corps : il faudrait une autopsie littéraire pour retrouver tous les ingrédients qui ont produit un texte. Mais la loi du texte, elle, ne va pas de soi car les mêmes ingrédients pourraient produire un texte tout à fait différent. Je crois qu’un vrai texte littéraire est fait de tous les textes, de toutes les lectures qui l’ont nourri. Et en même temps il est absolument unique, exactement comme une personne.

Comment travaillez-vous ? Avez-vous une « hygiène de l’auteur » avec des méthodes de travail ? Des horaires fixes ?

J’ai passé ma vie à me forger une « hygiène » de travail, toujours guidée par mon obsession du temps. Je ne peux pas vivre sans calendrier, depuis toujours mes agendas sont noircis, j’ai plus de tâches à remplir qu’un ministre ! Pourtant ma vie est très simple : écriture, famille, amis. J’ai un besoin maladif de découper le temps, de le charcuter, de le dilater, bref d’en prendre un semblant de possession. Cette tentative de maîtriser le temps apparaît à mes proches comme une… perte de temps ! Mais pour moi elle est essentielle, quand bien même je ne respecte jamais les délais que je me donne. Mon obsession rejoint le besoin du capitaine de bateau qui se sert de son livre de bord pour tenir la route, même si, comme Christophe Colomb, il croit aller aux Indes et finit par découvrir l’Amérique.

Si vous voulez savoir quand j’écris, je vous répondrai que j’écris toujours quand le soleil n’est pas couché ; dès qu’il disparaît de l’horizon, je ne peux plus écrire, je me sens triste et j’essaie comme je peux de remplir cette espèce de vide avec des tâches matérielles, des rencontres, des conversations…

Par contre, je considère que je suis « dans » l’écriture (bien que loin de l’ordinateur), quand je pense tout le temps à mon histoire ; je garde toujours sur moi un carnet minuscule où je marque des détails qui me viennent à l’esprit : intéressants, insignifiants, loufoques ou même… sans aucun rapport avec l’histoire que je suis en train d’écrire !


Quelles sont vos références en littérature ? Vos inspirations ?

Je peux citer les lectures qui ont nourri mon imaginaire à différentes étapes de ma vie, bien que d’autres probablement, moins importantes, aient elles aussi fertilisé un terrain dont je ne connais pas moi-même toute les ressources. J’évoquerai en vrac les auteurs qui, au fil du temps, m’ont éduquée, émue, transportée, arrêtée : les Italiens d’abord, Dante (cet Enfer qui bouleverse aujourd’hui encore bien des collégiens…), Pétrarque, L’Arioste, Le Tasse, Leopardi, les poètes « crépusculaires », Pirandello, Pavese, Montale, Pasolini… Ensuite, Dostoïevski qui a marqué mon adolescence, Tolstoï, Pasternak, Dickens, Emily Brontë (ah ! ces Hauts des Hurlevents de mes seize ans !), Jane Austen, T. S. Eliot, Virginia Wolf, bien sûr, et puis Fitzgerald, Hemingway et l’immense Faulkner. Enfin, mes Français adorés, Baudelaire en premier, mais aussi Laclos, Nerval, Flaubert, Stendhal, Balzac, Barbey d’Aurevilly…

Ce qui est gênant avec ce genre de listes, c’est qu’une fois dressées, on ne voit plus que les absents, les oubliés, ceux qui réclament leur part, les fugitifs qui ont laissé leur trace sans crier gare, comme par exemple cet Autant en emporte le vent que j’ai lu à l’âge de treize ans et qui a parachuté à jamais Scarlett O’Hara dans mon existence…

Maintenant que j’y pense : et si ma Mariella n’était qu’une Scarlett des temps modernes ?


Vous truffez votre récit d’extrait de chanson, c’est pour mettre votre lecteur dans la peau de vos héros ? Vous écoutez de la musique en écrivant ?

La musique a une part important dans la vie, même quand on croit ne jamais l’écouter. Par goût, par choix ou même sans le vouloir, il y a toujours un son qui passe dans notre manière de vivre. Mes personnages disent quelque chose d’eux-mêmes lorsque une mélodie ou les mots d’une chanson surgissent au beau milieu de l’action… ou de l’inaction.

J’écoute beaucoup de musique, et elle varie selon les lieux et les heures de ma journée : en ce moment, par exemple, je fais une fixation sur le dernier album de Muse, Black Holes & Revelations (surtout sur la chevauchée envoûtante du dernier titre, Knights of Cydonia) et sur tout Puccini (en mars, j’ai écouté en boucle Tosca et quand j’étais seule à la maison, je chantais avec la Callas Non la sospiri la nostra casetta…).

Par contre, il m’est impossible d’écouter la musique pendant l’écriture : la première me distrait, j’aurais tendance à la suivre contre la seconde.

Comment est reçu votre ouvrage Bleu Catacombes ?

Je vois cette troisième saison meurtrière creuser comme une taupe son petit tunnel dans le marché du polar : avec patience et ténacité. Le mythe de Judith, l’art contemporain, l’architecture d’une Rome inconnue aux guides touristiques, le bleu tendu du ciel estival et le bleu nuit des catacombes semblent donner le goût d’un polar que d’autres ont situé aux limites du genre.


Quel effet cela vous fait d’être sélectionnée pour le Prix SNCF du polar ? Que pensez-vous de ce prix ?

J’ai été sélectionnée en 2005 pour Vert Palatino (le printemps meurtrier) et j’ai donc déjà ressenti ce plaisir de voir « voyager » mon livre sur les rails… Moi, je suis une vraie fanatique du train, j’ai horreur de l’avion. Par deux fois, j’ai même persuadé ma famille que le trajet le plus court pour aller de Paris à Lisbonne c’était… le Talgo jusqu’à Madrid, puis une voiture de location jusqu’au Portugal !

Et comment oublier l’inoubliable Paris-Rome qui, à une certaine époque de ma vie, fut le symbole de mes allers-retours amoureux, miroir exaltant du train de La Modification (celui de Michel Butor) ? Et d’ailleurs, un autre de mes polars, qui n’appartient pas à cette série (il y est question de l’affaire Aldo Moro), s’intitule L’Inconnu du Paris-Rome, train qui n’y est pas qu’un train fantôme.

Quand j’avais dix onze ans, j’adorais le trajet en train de Rome jusqu’à mon village natal ; ça durait moins d’une heure, mais pour moi c’était le voyage d’Ulysse : j’y revivais toutes les aventures des Quatre filles du docteur March et entrais d’emblée dans la peau de Jo, ma préférée.

Alors, pour moi, le Prix SNCF a vraiment un sens.


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