25 octobre 2005


25 octobre 2005

Hier soir, sur Arte, à 20 :30, j’ai vu le film de M.T. Giordana, Les Cent pas. En v.o. (I cento passi). Merci Arte.

Marco Tullio Giordana est le metteur en scène de Nos meilleures années, le film qui, en 2003, a rencontré une certaine faveur auprès du public français (voir sur ce site à la rubrique « Cinéma »).

Les « cent pas », c’est la distance qui sépare la maison du jeune protagoniste en lutte contre la mafia, de la demeure du boss mafieux de son petit village sicilien où l’histoire se déroule. Distance physique et distance morale, politique, sociale et culturelle. Distance immense et si petite, comme celle qui sépare et relie le fils à son père : un père complice de cette société opaque et compacte où la règle mafieuse est celle-là même du pouvoir, dans la complexité d’une toile inextricable de services rendus et à rendre ; un fils qui s’expose au martyre pour défendre une vérité qu’il croit pouvoir crier seul dans le quasi désert du non-pouvoir.

La beauté du film, au-delà de l’émotion assurée d’une dénonciation qui nous livre le nouvel héros d’une lutte fatalement inégale contre la Mafia, phénix à jamais resurgissant de ses cendres, réside dans l’analyse de liens familiaux complexes qui nuancent l’ombre et la lumière propres au cadre historique. Car le père, avec ses compromissions mafieuses, sa dévotion et son obéissance à toute épreuve à plus puissant que soi, avec son adhésion sans faille à la loi du plus fort, arrive néanmoins à nous questionner lorsqu’il protège son fils jusqu’au bout, et jusqu’à en mourir. La mère nous semble, elle, paradoxalement terrible dans son amour absolu envers son fils en révolte, dangereusement voué au sacrifice. La mère ne juge pas, elle aime de cet amour qui ne connaît pas la raison. Et l’on ne peut pas s’empêcher de penser que si son fils n’était pas cet assoiffé de justice qui crie la vérité trop fort pour pouvoir y survivre, mais un assoiffé de pouvoir et de violence, elle l’aimerait de la même manière. Le poème magnifique de Pasolini que le fils lit à sa mère, nous le confirme dans toute sa beauté terrifiante :

Tu es la seule au monde qui sait, de mon cœur,

Ce qui a toujours été, avant tout autre amour. (...)

Tu es irremplaçable. Pour cela est damnée

à la solitude la vie que tu m’as donnée.

Très belle aussi cette scène qui éclaire les relations entre les deux frères, lorsque le cadet, après la mort du père, hurle au héros sa souffrance d’avoir à occuper la place de celui qui répare les blessures causées par l’assoiffé de vérité : consoler leur mère, trembler pour le destin du frère, amadouer le père… Et alors le frère crie sa douleur à la rue déserte du petit village sicilien où cent pas séparent le bourreau de sa victime : lui aussi peut être un héros !

Le film se clôt sur la musique déchirante des Procol Harum (A Whiter Shade of Pale) comme sur un chant de cygne.

L’histoire racontée est une histoire vraie : celle d’un jeune Sicilien, Peppino Impastato, militant du groupe gauchiste « Lotta Continua », engagé personnellement dans la lutte contre la Mafia, et assassiné à l’âge de trente ans, la veille du jour où le cadavre d’Aldo Moro, président de la Démocratie Chrétienne, enlevé par les Brigades Rouges cinquante-cinq jours plus tôt, fut retrouvé à Rome dans le coffre d’une voiture. Coïncidence funeste et malchanceuse. Qui pouvait se soucier, dans ces journées ténébreuses, d’un petit jeune éclaté en morceaux sur les rails de la ligne ferroviaire Palermo-Trapani ?

Après quelques tentatives presque réussies de classer l’affaire comme acte terroriste ayant échoué et ensuite comme suicide ( !), le meurtre a fait l’objet d’un procès où deux mafieux du village sicilien de Cinisi ont été accusés d’avoir commandité l’assassinat de Giuseppe Impastato.

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